Formation chrétienne
des adultes
Année 2015-2016 : l’Évangile
selon Luc
Bénédictions et lamentations dans
l’Évangile selon Luc
Plan :
Introduction : les
béatitudes
1ère partie : le
vocabulaire
a)
Bénédiction
Déclarative
/ constitutive / invocatrice
Brk
3
sortes de bénédictions : du plaisir, des commandements, de gratitude.
b)
Malédiction / lamentation
2 partie : l’Evangile selon
Luc
a)
Réalisation des paroles de bénédiction, des promesses de
Dieu
b)
Louange, bénédiction déclarative, déclamative :
c)
Le discours dans la plaine
d)
Malédictions et lamentations
Conclusion : « en avant »
Introduction :
Les Béatitudes sont un des passages les plus connus des
Évangiles : placées au début du ministère public de Jésus, les Béatitudes
en sont comme un résumé programmatique. Dieu veut notre bonheur. Il veut notre
bonheur car il nous aime et l’apogée de notre bonheur c’est de nous savoir
aimés par Dieu.
On trouve deux versions des Béatitudes dans les Évangiles,
chez Mathieu et chez Luc.
En Mt 5, Jésus monte dans la montagne et enseigne
ses disciples avec la proclamation de 8 bénédictions. « Heureux
les pauvres en esprit ». C’est le « Sermon sur la montagne » : sermon car ayant une
connotation éminemment moralisatrice et spirituelle. Jésus donne son
enseignement sur la montagne comme Dieu donnant sa Loi à Moïse.
En Lc 6, c’est après être redescendu de la montagne, que
Jésus proclame une série de 4 bénédictions « Heureux les
pauvres » suivies
de 4 « malédictions » « Malheur à vous les
riches ». C’est le « discours dans la
plaine » : discours car terre à terre et concret. Jésus donne son
enseignement après être redescendu de la montagne comme Moïse donnant la Loi au
peuple.
Bénédictions et malédictions, s’égrainent ainsi tout au long
de l’Évangile lucanien.
NB : 8 = 4 + 4
4 étant le chiffre de la création,
du monde concret. C’est pour ce monde,
notre monde que sont données 4 bénédictions et 4 malédictions selon Luc.
Mais les
bénédictions chez Matthieu sont aux nombres de 8. Elles transcendent donc le monde
ordinaire et renvoient déjà au monde invisible, à une réalité transfigurée (sur
la montagne).
1ère partie :
le vocabulaire
Mais précisons d’abord notre vocabulaire.
· a) Bénédiction
L’étymologie latine est simple : bene-dicere = dire du bien
La bénédiction est diction autant que bien, elle est une
belle parole eu-logia.
La bénédiction consiste ainsi soit à dire du bien de
quelqu’un = éloge, louange, soit à appeler le
bien sur cette personne.
-
La
louange en tant que telle, est purement déclarative.
Elle reconnaît comme bien ce qui l’est déjà.
Lc 1,45 visitation : Oui, bienheureuse celle qui a cru en
l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur !"
Lc 1,68 bénédictus "Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël,
de ce qu'il a visité et délivré son peuple,
-
La
bénédiction comme appel au bien sur une personne peut être soit constitutive soit invocatrice.
Une
bénédiction constitutive confère une disposition permanente. Ainsi en est-il
des prières consécratoires ou d’ordination. Ex. : huiles saintes,
vêtements liturgiques, abbés & abbesses, prêtres…
Lc 10,5-6 En quelque maison que vous entriez, dites
d'abord : Paix à cette maison ! Et s'il y a là un fils de paix, votre paix ira
reposer sur lui ; sinon, elle vous reviendra.
Lc 24,50 ascension :
Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit.
Notons
qu’une fois reçue (validement), une telle bénédiction ne peut pas être retirée
si ce n’est par Dieu lui-même, source de toute bénédiction.
La
bénédiction invocatrice, au contraire n’imprime pas aux personnes ou aux objets
un changement permanent. Ex. : bénédiction sur le malade, sur la
nourriture…
Lc 9 [16] Prenant alors les cinq pains et les deux
poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit, les rompit et il les donnait aux
disciples pour les servir à la foule.
Notons que
de telles bénédictions d’objets sont très rares dans la Bible.
En hébreu, le mot utilisé à la même racine brk que le mot genoux, non pas que la bénédiction se donne ou se reçoive à genoux : les genoux désignent métaphoriquement les organes sexuels ( féminins. ceux de l'homme étant plûtot désignés par la métaphore de la "cuisse").
cf. Gn 24, 2-3Abraham dit au plus vieux serviteur de sa maison, le régisseur de tous ses biens : "Mets ta main sous ma cuisse. [3] Je te fais jurer par Yahve, le Dieu du ciel et de la terre,
Gn30,3 (Rachell) reprit : "Voici ma servante Bilha. Va vers elle et qu'elle enfante sur mes genoux : par elle j'aurai moi aussi des enfants !"
La bénédiction est ainsi associée à la notion de fécondité.
Ainsi de la
1ère bénédiction dans la Bible.
Gn 1,22 Dieu les bénit et
dit : "Soyez féconds, multipliez, emplissez l'eau des mers, et que les
oiseaux multiplient sur la terre."
Ce rapport à
la fécondité se retrouve aussi dans l’Évangile selon Luc :
Lc 1,14
Zacharie et JB : Tu auras joie et allégresse,
et beaucoup se réjouiront de sa naissance.
1,68-69 "Béni soit le
Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et délivré son peuple,[69] et
nous a suscité une puissance de salut dans la maison de David, son serviteur,
Lc 1, 28.31 Marie et Jésus : "Réjouis-toi, comblée
de grâce, le Seigneur est avec toi."[.]
[31] Voici que tu concevras dans ton
sein et enfanteras un fils
Lc 1,42
visitation : "Bénie es-tu entre les femmes, et béni
le fruit de ton sein !
Lc 2,10 ange
aux bergers : je vous annonce une grande
joie, qui sera celle de tout le peuple :[11] aujourd'hui vous est né un Sauveur
Lc 11,27 "Heureuses les entrailles qui t'ont porté
et les seins que tu as sucés !"
A quoi Jésus répond en décalant la bénédiction vers une autre
sorte de fécondité
"Heureux
plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l'observent !"
On distingue
en hébreu 3 formes nominales de la racine brk.
-
Le
substantif : beraka,
bénédiction. La chose donnée.
Sens profane de cadeau avec une dimension relationnelle.
Symbole privilégié : l’eau.
Si
39,25 sa bénédiction a tout recouvert comme un fleuve et abreuvé la terre comme
un déluge,
-
Le
verbe : barek, bénir. Le don de la chose.
Emploi depuis le banal salut jusqu’à la plus grande faveur divine.
Dieu, le Vivant étant la source de toute bénédiction, seuls les êtres
vivants peuvent être bénis. (les objets pouvant seulement être consacrés ou
sanctifiés).
Source secondaire de Vie, le père de famille peut bénir ses enfants.
La bénédiction est efficace et irrémissible (sauf de par Dieu). Cf
Isaac avec Jacob et Esaü.
Paradoxalement, il arrive aussi que ce soit le faible qui bénisse le
puissant, que l’homme ose bénir Dieu.
Ne
9,5 qu'on bénisse ton Nom de gloire qui surpasse
toute bénédiction et louange!
La bénédiction devient alors une simple forme de louange.
-
L’adjectif
ou participe : baruk, béni. La formulation du don.
C’est le mot le plus fort de bénédiction :
« béni soit N… ! » « béni Dieu : »
hw"hy>
hT'a; %WrB Ps119,12
Ce n’est alors pas tant un souhait qu’un cri, une profession de foi, une
confession publique de la puissance divine et action de grâces pour sa
générosité.
Gn 14,19-20 (Melchisédech) prononça cette bénédiction : "Béni
soit Abram par le Dieu Très-Haut qui créa ciel et terre, et béni soit le Dieu
Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains."
cf Lc 1,42
visitation : "Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein !
Dans cette
formule, Jésus tient la place de Dieu par rapport à Gn14,20. Par ailleurs
« le
fruit » souligne la
fécondité de la bénédiction.
Selon rabbi
Méir, tout juif doit louer Dieu au moins 100 fois par jour.
Le judaïsme
distingue 3 sortes de bénédictions.
-
Les bénédictions du plaisir : comme le fait de manger…
Prendre du plaisir sans bénir Dieu équivaudrait à un vol.
Lc22,17 cène : ayant reçu une coupe, il rendit grâces
-
Les bénédictions des mitsvah ou commandements.
Bénir Dieu revient alors à accepter sa volonté et ses ordres (sources de
bénédiction pour qui les respecte).
Lc 12,43 Heureux ce serviteur, que son maître en arrivant
trouvera occupé de la sorte !
-
Les birkhot hodaah : expression de gratitude à
l’occasion d’un évènement, tel une bar-mitsva.
Lc 10,21 Retour
de mission des 70 : A cette heure même, il tressaillit de joie
sous l'action de l'Esprit Saint et il dit : "Je te bénis, Père, Seigneur
du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de
l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir.
· b) Malédiction / lamentation
« Le
vocabulaire de la malédiction est riche en hébreu ; il exprime les
réactions violentes de tempéraments passionnés : on maudit dans la colère
(z’m), en humiliant (‘rr), en méprisant (qll), en exécrant (qbb), en
jurant(‘lh). La Bible grecque s’inspire surtout de la racine ara, qui désigne
la prière, le vœu, l’imprécation, et évoque plutôt le recours à une force
supérieure contre ce qui est maudit ». VTB,
article malédiction.
La
malédiction est généralement associée à
la notion de châtiment (tokhehah).
Gn 3,14 Le SEIGNEUR Dieu dit au serpent : " Parce
que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les bestiaux et toutes les
bêtes des champs ; tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière
tous les jours de ta vie.
S’opposant à
la bénédiction, la malédiction porte atteinte à la fécondité.
Gn 3,16 Il dit à la femme : " Je ferai
qu'enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c'est péniblement que tu
enfanteras des fils.
La stérilité est une/la forme de malédiction,
peut-être la plus manifeste.
1S 1,5 (Anne,
future mère de Samuel) : sa rivale ne cessait de lui faire des
affronts pour l'humilier, parce que le SEIGNEUR l'avait rendue stérile.
Os 9,14 Donne-leur,
SEIGNEUR... Que donneras-tu ? Donne-leur ventre stérile et mamelles desséchées.
Lc 3,7
"Engeance de vipères
Lc 21,23 Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront
en ces jours-là ! "Car il y aura grande détresse sur la terre et colère
contre ce peuple.
Lc 23,29 Jésus dit :
"Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! pleurez plutôt sur
vous-mêmes et sur vos enfants ![29] Car voici venir des jours où l'on dira :
Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n'ont pas enfanté, et les
seins qui n'ont pas nourri !
Dans l’orient ancien,
on croyait à l’efficacité (magique) de la parole. Bénédictions et malédictions
ne devaient donc pas être faites à la légère.
Une fois donnée, malédictions et bénédictions ne pouvaient
être retirées.
Nb 22,5 Balaam : Viens donc,
je te prie, et maudis-moi ce peuple, car il est plus puissant que moi. Ainsi
pourrons-nous le battre et le chasser du pays. Car je le sais : celui que tu
bénis est béni, celui que tu maudis est maudit."
Certains
croyaient cependant qu’une bénédiction pouvait annuler une malédiction.
Jg
17,2 (Mikayehu)dit à sa mère : "Les 1.100 sicles d'argent qu'on t'avait
pris, et au sujet desquels tu avais prononcé une malédiction [.] eh bien, cet
argent, le voici, c'est moi qui l'avais pris." Sa mère dit : "Que mon
fils soit béni de Yahve !"
Cependant, selon
le Talmud et donc pour les juifs actuels, seul Dieu décide de l’efficacité ou
non d’une bénédiction ou d’une malédiction.
On ne parle ici que des seules bénédictions ou malédictions de types
imprécatoires, i.e. appelant bonheur ou malheur sur quelqu’un.
Les
malédictions imprécatoires sont à distinguer des malédictions déclaratives,
simples constats de malédiction/malheur et à ranger sous la catégorie des lamentations.
Lc 21,23 Malheur à celles
qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! "Car il
y aura grande détresse sur la terre et colère contre ce peuple.
Cependant,
la classification entre malédiction et lamentation est parfois subjective.
Gn 2 [16] Et Yahve Dieu fit
à l'homme ce commandement : "Tu peux manger de tous les arbres du
jardin.[17] Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras
pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort."
La mort ici est-elle punition et châtiment ou simple
conséquence ?
Lc 20,47 [46]
"Méfiez-vous des scribes qui se plaisent à circuler en longues robes, qui
aiment les salutations sur les places publiques, et les premiers sièges dans
les synagogues et les premiers divans dans les festins, [47] qui dévorent les
biens des veuves, et affectent de faire de longues prières. Ils subiront,
ceux-là, une condamnation plus sévère !"
Jésus souhaite-il et invoque-t-il cette condamnation ?
De même pour la ville de Jérusalem et le Temple saint.
Lc
21,6 "De ce que vous contemplez, viendront des
jours où il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit jetée bas."
Jésus constate-il seulement un fait inévitable : simple
lamentation ;
ou l’appelle-t-il de ces vœux : malédiction.
La réponse
dépend de l’idée que l’on se fait de Dieu, de Jésus et influe en retour sur notre
conception de Dieu…
2ème Partie :
l’Évangile selon St-Luc
Le récit
lucanien à la différence du récit marcien ne se présente pas comme un Évangile
i.e. une Bonne Nouvelle.
Mc 1,1 Commencement de
l'Evangile de Jésus Christ, Fils de Dieu.
Il se présente plus impartial, plus
« jounalistique ».
Lc 1,3 j'ai décidé, moi aussi, après
m'être informé exactement de tout depuis les origines d'en écrire pour toi
l'exposé suivi, excellent Théophile,
Cependant son récit est bien un
Évangile, une Bonne Nouvelle. L’annonce de cette Bonne Nouvelle étant mise dans
la bouche des anges, de Jean puis de Jésus.
Lc 1,19 Et l'ange lui répondit :
"Moi je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu, et j'ai été envoyé pour te
parler et t'annoncer cette bonne nouvelle.
Lc 3.18 Et par bien d'autres
exhortations encore il (Jean le Baptiste) annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
Lc 4,18 L'Esprit du Seigneur est sur
moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres Lc 4,43 ;
7,22 ; 8,1 ; 20,1
Bonne Nouvelle que l’on retrouvera
au cœur de l’annonce de l’Eglise naissante
Ac 5,42 Et chaque jour, au Temple et
dans les maisons, ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer la Bonne Nouvelle du Christ Jésus.
Même si elle ne présente pas comme
telle, l’œuvre de Luc est un Évangile, une Bonne Nouvelle. Bonne nouvelle donc /car
annonce de l’accomplissement des
promesses de bénédiction de la part de Dieu.
a) Réalisation des paroles de bénédiction, des promesses de
Dieu :
Lc 1,32 annonciation : Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père
Lc 1 Magnificat : [54] Il est venu en aide à Israël, son
serviteur, se souvenant de sa miséricorde, -[55] selon qu'il l'avait annoncé à
nos pères - en faveur d'Abraham et de sa postérité à jamais !"
Lc 1 cantique de Zacharie : "Béni soit le Seigneur,
le Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et délivré son peuple,[69] et nous a
suscité une puissance de salut dans la maison de David, son serviteur, [70]
selon qu'il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps
anciens,
Lc 4 Il replia le livre, le rendit au
servant et s'assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui.[21]
Alors il se mit à leur dire : "Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce
passage de l'Ecriture."
En Jésus s’accomplissent les
promesses, les bénédictions de Dieu.
b) Louange, bénédiction déclarative, déclamative (birkhot hodaah) :
L’accomplissement en Jésus des
bénédictions de Dieu devient motif de bénédiction, occasion de louange pour
Dieu et pour les instruments de cette réalisation.
On trouve ces bénédictions de
louange d’abord dans l’ « Évangile de l’enfance » :
réalisation des ancestrales :
Lc 1,28 annonciation "Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec
toi."
Lc 1,42 visitation "Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton
sein !
Lc 1,46 magnificat : Marie dit alors : "Mon âme exalte le Seigneur,
Lc 1,68 cantique de Zacharie :
"Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il a
visité et délivré son peuple,
L’ensemble étant parachévé après la
Résurrection :
Lc
24 [52] Pour eux, s'étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem
en grande joie, [53] et ils étaient constamment dans le Temple à louer Dieu.
Entre temps, ce genre de
bénédiction et de louange revient à l’occasion de la réalisation concrète d’une
manifestation de la bénédiction de Dieu lors d’une guérison :
Lc 7,16 après la résurrection d'un fils à Naïm: ils glorifiaient Dieu en disant : « Un
grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple. »
Lc 13,10 Et, à l'instant même, elle se redressa, et elle glorifiait
Dieu.
Lc 17,15 les 10 lépreux: L'un d'entre eux, voyant qu'il avait été purifié, revint sur
ses pas en glorifiant Dieu à haute voix
Du côté de Jésus, la parole de
bénédiction, de louange envers Dieu, n’est pas lié aux guérisons elles-mêmes
mais à leur effet sur la foi, sur le cœur de ceux qui se laissent
toucher :
Lc 10,21 A cette heure
même, il tressaillit de joie sous l'action de l'Esprit Saint et il dit :
"Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela
aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père,
car tel a été ton bon plaisir.
c) Le
discours dans la plaine.
Travail de groupe :
Lc 6, 17-28 et //en Mt 5,1-12 TOB
[17] Descendant avec
eux, il s'arrêta sur un endroit plat avec une grande foule de ses disciples et
une grande multitude du peuple de toute la Judée, de Jérusalem et du littoral
de Tyr et de Sidon ; [18] ils étaient venus
pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies ; ceux qui étaient
affligés d'esprits impurs étaient guéris ; [19]
et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu'une force sortait de lui et
les guérissait tous.
[20] Alors, levant les yeux
sur ses disciples, Jésus dit :
"
Heureux, vous les pauvres : le
Royaume de Dieu est à vous.
[21] Heureux, vous qui
avez faim maintenant : vous serez rassasiés.
Heureux,
vous qui pleurez maintenant : vous rirez.
[22] Heureux êtes-vous
lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent, et qu'ils
insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme.
[23] Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici,
votre récompense est grande dans le ciel ; c'est en effet de la même manière
que leurs pères traitaient les prophètes.
[24] Mais malheureux, vous les riches : vous
tenez votre consolation.
[25] Malheureux, vous
qui êtes repus maintenant : vous aurez faim.
Malheureux,
vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez.
[26] Malheureux
êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous : c'est en effet de la
même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes.
[27] " Mais je
vous dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui
vous haïssent,
[28] bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous
calomnient.
Heureux maka,rioi d’où vient le prénom Macaire
Dieu nous
appelle à être heureux ; il veut que nous soyons heureux car il nous
aime !
Le drame de
l’aventure humaine c’est que nous n’arrivons pas à être heureux, du moins à
l’être totalement et durablement : nous nous heurtons inévitablement au
péché et à la mort…
Jésus, toi seul peux
contenter mon âme
Rien ne saurait me
charmer ici bas
Le vrai bonheur ne s'y
rencontre pas...
Jésus seul, poème de Ste Thérèse de l’enfant
Jésus et de la sainte Face
Cependant et
à défaut de connaître dès ici-bas la félicité angélique, nous pouvons malgré
tout être heureux en ce monde même si ce n’est que d’un bonheur imparfait.
La question
est de savoir si dans les béatitudes, Jésus proclame le bonheur, donne le
bonheur ou le promet (pour plus tard). « heureux » est-il un cri de louange, une parole
efficace ou un vœu ?
Est-ce une
bénédiction déclarative, constitutive ou invocatrice ?
·
Une
bénédiction déclarative.
Autrement dit un constat et une louange
associée.
Cela
pourrait s’entendre avec la version spiritualisée de Matthieu : « Heureux
les pauvres de cœur » « Heureux ceux qui ont faim et soif de la
justice »
Mais comment
l’admettre avec l’édition lucanienne : « Heureux, vous qui
avez faim maintenant » « Heureux,
vous qui pleurez maintenant ».
Honnêtement,
le « maintenant » des épreuves chez Luc ne me donne pas spécialement envie d’être
heureux de cette manière….
·
Une
bénédiction constitutive
Ce qui
revient à une consécration, un don irrévocable.
Comme s’il
suffisait d’être pauvre et de souffrir pour être heureux car déjà possesseur du
Royaume de Dieu et assuré d’en jouir un jour.
« Heureux,
vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous. »
Mais cela
reviendrait à donner une valeur salvifique quasi magique à la pauvreté et à la
souffrance.
« Le
Royaume des cieux est à vous car
vous êtes pauvres » mais ce
« car » n’est pas dans le texte…
·
Une
bénédiction invocatrice
Expression de la miséricorde de Dieu. Promessed’une consolation à venir.
Mais la promesse semble déjà réalisée chez Luc: "royaume de Dieu" et non "Royaume des cieux" Mt
De plus, bénédiction
dénoncée parfois comme faisant de la religion l’opium des peuples, un instrument
de résignation sociale.
Malheureux
En Français,
« malheureux »
et le contraire
équivalent au mot « heureux », ce qui fait de
la seconde partie du discours la parfaite opposée en parallèle à la première.
Cependant,
tel n’est pas le cas en grec. La forme adjectivale grecque opposée à « heureux
» makarioV serait talaipwroV
Rm 7 [24] Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me
voue à la mort ?
Véritable lamentation de Paul sur
lui-même et sa faiblesse liée à son corps mortel.
Mais Luc
n’utilise jamais ce mot, ni dans son Evangile ni dans les Actes, et les autres
Evangélistes non plus.
Luc préfère
utiliser l’interjection ouai = hélas qui est pratiquement l’équivalent de l’onomatopée oïe ou aïe.
D’où
plusieurs traductions possibles :
Lc 6,24 malheureux, vous les riches TOB/ malheur à vous les riches BJ/ hélas, pour vous les riches Interlinéaire/ oïe, vous
les riches Chouraqui
Il va de soi
que le choix dans la traduction découle d’un choix interprétatif lui-même induit
dans le lecteur francophone.
-
Lc 6,24 malheur à vous les riches BJ
Résonne
comme une imprécation et oriente vers une parole de malédiction.
-
Lc 6,24
malheureux, vous les riches TOB
Suivant la
tonalité de la lecture, le sens peut être très divers.
Cette
traduction est plus neutre mais s’éloigne de l’aspect exclamatif du ouai grec et crée un parallèle
malheureusement trop grand avec les 4 bénédictions précédentes.
-
Hélas / oïe
Ici Jésus
semble regretter un état de fait et s’en
lamenter.
Le choix de
la nouvelle Traduction liturgique repend le « malheur » de BJ mais en fait une exclamation
équivalente au « hélas » avec force « ! ».
Lc 6,24 quel malheur pour vous, les riches, car vous avez
votre consolation !
Alors,
lamentation(s) ou malédiction(s) ?
L’histoire
de « l’homme riche » peut sans doute nous éclairer :
Lc
18 [23] Quand il entendit cela, l'homme devint tout triste, car il était très
riche.
[24] Le voyant, Jésus dit : " Qu'il
est difficile à ceux qui ont les richesses de parvenir dans le Royaume de Dieu
!
Jésus ne condamne pas ni la richesse ni les
riches mais constate simplement combien il est difficile pour un riche d’être
sauvé.
La richesse peut-être une malédiction, et
Jésus se lamente sur ses victimes (les riches).
Si on reste
dans cette logique, la sentence Lc 6,24
malheur à vous les riches BJ serait
donc plutôt à recevoir comme une lamentation.
Et de même pour les autres du « discours dans la plaine ».
Regardons ce
qu’il en est dans le reste de l’Évangile lucanien.
d) Malédictions et lamentations chez Luc
Lc 3,7 : " Engeance de vipères, qui vous a
montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ?
Jean se
contente-il d’insulter la foule, se lamente-il sur elle ou exprime-t-il une
forme de malédiction ?
Avec des mots proches de ceux de
JB, Jésus semble plutôt se lamenter
de la situation.
Lc 9,41 " Génération
incrédule et pervertie, jusqu'à quand serai-je auprès de vous et aurai-je à
vous supporter ?
-------
Lc 8,10 Il dit : " A vous il est donné de
connaître les mystères du Royaume de Dieu ; mais pour les autres, c'est en
paraboles, pour qu'ils voient sans voir et qu'ils entendent sans comprendre.
Il s’agit
ici d’une citation Is 6,9 ; passage de l’AT le plus cité dans le NT :
[9] Il dit : " Va, tu
diras à ce peuple : Ecoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais
sans reconnaître. [10] Engourdis le cœur de ce peuple, appesantis ses oreilles,
colle-lui les yeux ! Que de ses yeux il ne voie pas, ni n'entende de ses
oreilles ! Que son cœur ne comprenne pas ! Qu'il ne puisse se convertir et être
guéri ! "
Dieu
ferme-t-il exprès la compréhension comme il avait endurci le cœur de
pharaon ? cf Ex 9,12
Remarquons
cependant que la finale de la citation, le refus de guérison/salut, n’est pas
présent ici dans la bouche de Jésus (à la différence de Mt 13,15 et Jn12,40) ,
on ne peut donc pas parler vraiment d’une malédiction.
Lc 10,13 [13] Malheureuse es-tu,
Chorazin ! Malheureuse es-tu, Bethsaïda ! car si les miracles qui ont eu lieu
chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu'elles se
seraient converties, vêtues de sacs et assises dans la cendre.[14] Oui, lors du
jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de rigueur que vous. [15] Et toi,
Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu'au ciel ? Tu descendras jusqu'au séjour des
morts.
Comme pour le discours dans la
plaine : Malheureuse = TOB Malheur = BJ
Et la question reste la même :
Jésus se lamente-il sur les villes ou les maudit-il ?
Le texte est ici encore +/- une
citation du livre d’Isaïe : Is 14,13-15
[15] Mais tu as été précipité au shéol,
dans les profondeurs de l'abîme."
Mais le
texte est modifié de manière significative.
« tu as été précipité » dr'WT devient « tu
descendras »
Le passif (divin) devient un actif.
Dieu n’est plus celui qui accomplit la malédiction. ..
Mais certains
d’entre vous objecteront peut-être que les 1ers chrétiens n’utilisaient pas la
version hébraïque d’Isaïe mais sa traduction en grec.
LXX : de eiV adou katabhsh => ewV
tou adou katabhsh
dans les 2
cas, le verbe katabainw est à l’indicatif futur moyen :
le passif (divin), utilisé pour l’élévation, disparaît en grec pour exprimer
l’abaissement.
Difficile
alors d’interpréter définitivement l’absence du passif divin chez Luc comme une
volonté délibérée de le faire disparaître et de transformer ainsi une
malédiction en lamentation.
Le doute par
contre n’est guère possible à l’endroit de Jérusalem : il ne s’agit pas
d’une malédiction mais bien d’une lamentation.
Lc 13 [34] " Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les
prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j'ai voulu
rassembler tes enfants comme une poule rassemble sa couvée sous ses ailes, et
vous n'avez pas voulu. [35] Eh bien ! elle va vous être abandonnée, votre
maison.
Lc 19 [41] Quand il approcha de la ville et qu'il l'aperçut, il
pleura sur elle.
Mais Jésus
n’utilise pas pour Jérusalem le mot grec
ouai
« malheureuse » ou « malheur » comme pour Chorazin
etc.
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On retrouve cependant
par ailleurs ce fameux ouai
Lc 17,1 [1] Jésus dit à ses disciples : " Il est
inévitable qu'il y ait des causes de chute. Mais malheureux celui par qui la
chute arrive. TOB / Il est impossible que les scandales n'arrivent pas, mais malheur
à celui par qui ils arrivent ! BJ
[2] Mieux vaut pour lui qu'on lui
attache au cou une meule de moulin et qu'on le jette à la mer et qu'il ne fasse
pas tomber un seul de ces petits.
Lc 22,22 Le Fils de
l'homme, certes, va son chemin selon ce qui a été arrêté, mais malheur à cet
homme-là par qui il est livré !" BJ Mais malheureux cet homme par qui il
est livré ! " TOB
Le parallèle
entre ces deux passages est encore plus net chez Mt et Mc qui ajoutent: Mt
26,24 Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas
naître !"
Le sort de celui qui se fait
occasion de chute pour les autres sera semblable au sort de Judas.
Mais quel a été le sort de Judas,
le maudit de référence ?
CONCLUSION
Ce n’est pas la lettre de
l’Evangile qui fait la foi. C’est la foi qui nous fait reconnaître l’Evangile
comme une Bonne Nouvelle :
Lc1 [1] Puisque beaucoup ont entrepris
de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous,[2]
d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires
et serviteurs de la Parole,[3] j'ai décidé, moi aussi, après m'être informé
exactement de tout depuis les origines d'en écrire pour toi l'exposé suivi,
excellent Théophile, [4] pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des
enseignements que tu as reçus.
Suivant l’enseignement reçu, selon
ce qui y est cru, nous comprendrons parfois différemment tel ou tel passage de
l’Evangile : où l’un entendra une malédiction divine, l’autre peut-être
Dieu qui pleure et se lamente… mais pour tout croyant, il doit rester cependant
avant tout Bonne Nouvelle, Parole de bénédiction donnée en Jésus
Christ !
L’Évangile de Jésus Christ selon St
Luc commence par l’accomplissement des bénédictions faite par Dieu dans le
passé,
Luc 1,55 «selon qu'il l'avait annoncé à
nos pères - en faveur d'Abraham
et de sa postérité à jamais !"
et s’ouvre au final sur une double
bénédiction :
Lc
24 [50] Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit.
[51]
Or, comme il les bénissait, il se sépara d'eux et fut emporté au ciel.
[52]
Eux, après s'être prosternés devant lui, retournèrent à Jérusalem pleins de
joie,
[53]
et ils étaient sans cesse dans le Temple à
bénir Dieu.
La bénédiction (constitutive) de
Dieu sur nous doit lui revenir sous forme de bénédiction (de louange).
C’est cette bénédiction qui conduit
les apôtres d’abord au Temple de Jérusalem puis à travers le monde entier
porter l’Evangile de Jésus-Christ, sa Bonne Nouvelle, la bénédiction ultime de
Dieu en Jésus Christ :
Ap 22,3 De malédiction, il n'y en aura plus
Alors
« en marche » et « en avant », comme le traduit Chouraqui dans sa
rétroversion de Luc 6,20
« En marche, les humiliés ! oui, il est à vous,
le royaume d’Elohim »
Bibliographie :
Vocabulaire de théologie biblique, cerf 1995 VTB
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, cerf/Robert
Lafont 1996
Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, Tome 2,
cerf 1990
Cahier Evangile :
N°5
Pour lire l’Evangile selon saint Luc, 1973
N°24 Le
message des Béatitudes, 1978
Supplément
n°68 Prières juives, 1989
N°114 L’œuvre de Luc, 2000
N°123
50 mots de la Bible, 2003
N°137 Evangile de Jésus Christ
selon saint Luc, 2006
N°173 Pour lire l’évangile selon
saint Luc, 2015
Outils
bibliques :
Concordance de la Bible, Nouveau Testament ; sr Jeanne
d’Arc, Cerf 2006
Synopse des 4 évangiles, Benoit & Boismard, volume 1, 1990
Nouveau Testament, Interlinéaire grec/français, Alliance
biblique universelle, 1994
Handkonkordanz
zum Griechischen Neuen Testament, German bible Society, 1989
Ancien Testament Interlinéaire hébreu-français, Alliance
biblique universelle, 2007
Traduction œcuménique de la Bible, cerf, 1981 TOB
Bible de Jérusalem, Cerf, 1986 BJ
La Bible, Chouraqui, DDB, 2001
La Bible, traduction officielle liturgique, Mame, 2013
Logitiel informatique :
Verbum domini, abbé Torquéau